vendredi 9 juillet 2010

La renaissance du Kairouan après la Seconde Guerre mondiale

Cols bleus, hebdomadaire de la marine française dirigé par Paul-Jean Lucas, dans son numéro du 14 mars 1947, publiait un article signé Jean Daval sur la réhabilitation du Kairouan de la Compagnie de navigation mixte. En voici le texte.

"Dans quelques semaines, au début d'avril, le paquebot Kairouan coulé à Boulon ou il demeurait inachevé, pourra être conduit au bassin afin que les travaux puissent être poursuivis à son bord.
Pour faire suite aux El Kantara, El Mansour et El Djesair, agréables paquebots du temps de paix avant de devenir les représentants de cette 1re division de croiseurs auxiliaires qui s'illustra sur les côtes de Norvège en 1940, la Compagnie de Navigation Mixte commandait durant le cours du mois d'avril 1939, aux Forges et Chantiers de la Méditerranée à La Seyne, le paquebot
Kairouan. Au mois de mai de la même année, la première tôle de ce futur courrier rapide était posée sur la cale N° 4.
Ce navire était le mille deux cent quarante septième bâtiment dont la construction était entreprise par des chantiers fondés 87 années auparavant. Le premier navire par eux construit, l'avait été en 1852: il s'appelait le Du-Tremblay et était réservé tout comme le
Kairouan à la Compagnie de Navigation Mixte laquelle portait déjà son nom actuel tandis que les Forges et Atelier de la Méditerranée à La Seyne étaient alors les chantiers Taylor.
Les caractéristiques de ce nouveau paquebot s'établissaient comme suit: Jauge brute totale 8.800t. Jauge nette 4.500t. Longueur 142,2m. Largeur 18,3m. Creux du pont B 9m. Tirant d'eau 6,3m. Capacité cubique 4.260 m3. Dimension du plus grand pan 6,80X4. Nombre du turbines 2. Puissance 24.000 chev. Vitesse 24 nœuds. Passagers 541. Effectifs 118h.
Les 541 passagers seront répartis en deux classes seulement et, tandis que les premières recevront 151 personnes, 390 autres trouveront place en 2e classe. Toutefois, près de 1.000 passagers de pont pourront être accueillis à bord.
Depuis le Du-Tremblay jusqu'au navire commandé à la veille de la guerre, d'impressionnants progrès ont été accomplis en matière de constructions navales et, il n'est pas exagéré de dire qu'avec le Kairouan, nous nous trouvons en présence d'une fort belle unité susceptible d'être considérée comme une image capable de présenter toute l'ampleur de ces progrès.
Nous avons dit tout à l'heure que ce navire serait un courrier rapide et, pour cela ses formes furent sérieusement définies, pour une vitesse de 24 nœuds quelles que puissent être les circonstances d'exploitation.
L'appareil de propulsion, d'une puissance de 24.000 chevaux effectifs, constituera l'ensemble le plus moderne réalisé jusqu'ici dans la marine marchande de notre pays. Quatre chaudières à haute pression (40 kg) et à forte surchauffe, du type La Mont, alimenteront deux groupes turbo-alternateurs de 9.020 kw sous 3.300 volts tournant à 3400 tours en liaison synchrone avec les deux moteurs d'hélice tournant à 191 tours.
Nous retrouvons donc ici une disposition semblable à celle adoptée sur Normandie et réalisée déjà par la société Alsthom de Belfort qui réservera au Kairouan un ensemble aux possibilités une fois encore remarquables car nous ne devons pas perdre de vue que Normandie obtint en 1937 au cours d'une de ses traversées, une vitesse moyenne de 31,2 nœuds avec 160.000 CV tandis que Queen Mary avait eu besoin de 200.000 CV pour atteindre 31,69 nœuds et conquérir le Blue Ribbon.
Revenons au Kairouan pour dire que, dès avant la guerre, La Compagnie de Navigation Mixte avait pensé accorder un confort notable non seulement aux passagers mais également à l'équipage, lequel pourrait disposer de coquets dortoirs à quatre, installés dans une partie plaisante du navire.
La question du transport des marchandises avait été de son côté étudiée très sérieusement.
D'un volume total supérieur à 4.000 m3, les cales à marchandises permettront de transporter à chaque voyage 1.500 tonnes de denrées, c'est-à-dire par exemple 80.000 colis de primeurs ou bien 15 millions d'oranges. Six portières de chaque bord placées dans la muraille même du navire, rendront facile la manutention des colis de primeurs tandis que les autres pourront être directement embarqués.
Le Kairouan ne transportera pas d'ailleurs que des denrées de ce genre, il comportera en outre une tranche réfrigérée laquelle, en 1939, avait été prévue pour deux chambres froides de 300 m3 chacune. Signalons également que les autres tranches du navire posséderont dans leur totalité une ventilation mécanique poussée afin d'assurer une conservation parfaite des primeurs embarqués.
Notons enfin que des élévateurs mécaniques sont prévus afin de desservir les entreponts inférieurs comme les chambres frigorifiques. Tous les appareils auxiliaires de la coque et de la machine sont commandés par courant alternatif et, afin d'éviter les dangers d'incendie, on a décidé de réaliser l'éclairage en courant alternatif à basse tension (42/24 volts).

La photographie que nous reproduisons permet d'apprécier les lignes élégantes du Kairouan qui sera un beau paquebot doté d'un appareil de propulsion remarquable à tous les points de vue et apte à donner au navire le privilège d'un fonctionnement absolument silencieux.
Lors de la libération de Toulon et, bien que n'ayant jamais quitté les lieux qui l'avaient vu naître, le Kairouan avait eu déjà l'occasion de connaître plus d'une aventure dont j'avais été parfois le témoin. Au moment de la libération de notre grand port de guerre, le 17 août 1944, étant coulé dans la passe, il chavira de 70° sur tribord, l'avant reposant sur un fond de 30 mètres et l'arrière sur le paquebot Virgilio. Une telle situation rendait son renflouement difficile comme l'avait été, déjà à Marseille, celui de l'El Mansour, coulé par les Allemands en août 1944 après qu'il eût été chargé de 2.360 tonnes de pierres et déblais et qui allait être redressé moins de deux ans plus tard après avoir reposé sur des fonds de douze mètres, gîté à 85°.
Pour le Kairouan, il fallut dix-huit mois d'efforts afin de redresser l'épave puis de l'amener sur de petits fonds.
Mais juste récompense, le navire portant le nom de la ville des mosquées de notre Tunisie, sera au bassin dans quelques jours, tandis qu'au printemps de 1948, il pourra prendre son service sur les lignes de l'Afrique du Nord, avec beaucoup de passagers et les cales emplies de marchandises tant à l'aller qu'au retour."

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